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Chapitre D'ouvrage Année : 2014

Introduction

Résumé

La perception, comme la jouissance, entretient des rapports intimes avec Eros et Thanatos, mais aussi avec le Bien et le Mal, avec le savoir, le pouvoir, et bien souvent aussi, le sentiment de ne pas pouvoir. Elle est associée au choc, au trauma de l’effraction qui peut néanmoins rendre perspicace tout autant que perplexe. Le préfixe « per » traduit en effet l’idée de percer, de pénétrer, d’aller au-delà, et ce par le truchement d’un point de vue ou d’une perspective. Cette traversée des apparences et ce déchirement du voile nous renvoient à la possibilité de percevoir avec perspicacité, notion si bien exprimée par le terme insight en anglais : « Si je voulais traduire exactement l’expérience perceptive, je devrais dire qu’on perçoit en moi et non pas que je perçois » (Merleau-Ponty [1945] 2010 : 905). Si la perception n’est autre que la projection du sujet sur le monde, ce percevant n’a d’autre choix que celui d’être perçu. Elle implique des échanges incessants entre sujet et objet, conscience et réalité, corps et monde. On peut s’interroger sur les enjeux herméneutiques de la perception et sur cet « art de percevoir juste » par le truchement d’une perspective qui est au cœur de la médiation avec le réel et qui apparaît, dans les œuvres littéraires ou plus généralement artistiques, genrée ou orientée par un point de vue politique ou idéologique, point de vue parfois tellement univoque ou figé qu’il nuit à la perspicacité. Le rêve serait sans doute de percevoir sans perspective, et notamment sans la perspective empirique qui s’avère bien souvent fallacieuse : mais une perspective de degré zéro existe-t-elle ? En outre, pour percevoir, il faut du perceptible, et aller du perceptible au représentable : « Pour qu’il y ait de l’insight, il faut d’abord qu’il y ait du représentable » (Green 1990 : 341). Or bien souvent, le percevant, ou l’expérient – siège subjectif d’une expérience psychologique – se heurte à l’évidence de l’imperceptible, voire de l’innommable, qui génère parfois l’infini désir de l’effraction parfois indissociable de la perversion. Ces itinéraires, ces lignes de fuite de la perception et de la perspective, on peut en suivre la trace dans les articles regroupés au sein de quatre grandes parties qui permettent justement de croiser des regards sur notre expérience perceptive. La première partie, « Langue de la perception et perception de la langue », est consacrée aux enjeux linguistiques de la problématique. Il est en effet pertinent de se pencher sur l’emploi, le fonctionnement syntaxique et sémantique, la polysémie des termes indiquant une perception ou une perspective sur le réel. Plus généralement, les constructions linguistiques peuvent être analysées comme l’image en discours de la perception effective et/ou d’une perspective adoptée sur le monde. De nombreux récits initiatiques mettent en scène l’éveil de la conscience aux prises avec le monde dont la perception empirique ne cesse d’être remise en compte. Dans ces romans, le terme « perspective » revêt à la fois un sens visuel et un sens expectatif et le personnage, tout comme le lecteur, qui apprend à percevoir derrière le voile des apparences ou de ses illusions, est parfois décrit comme « perceptif », « hyperperceptif » ou encore « ultraperceptif ». C’est ce qu’explore la deuxième partie, « Jeux de perspective : des pièges de la perception à la perspicacité reconquise ». L’échec auquel est confronté le désir d’une perspicacité quasi omnisciente ne doit pas occulter le fait que la perception est aussi un catalyseur de la création qui fait appel à la réceptivité du lecteur, comme cela apparaît clairement dans la troisième partie, « La perception comme catalyseur de la création ». L’ouverture sur l’infini est caractéristique de la façon dont la conception de la perspective et de l’expérience perceptive a évolué depuis le Moyen-Âge jusqu’à la modernité, et ce dans plusieurs champs littéraires ou artistiques, comme nous pouvons le voir dans la dernière partie, « Du Moyen-Âge à la modernité : vers de nouvelles perspectives artistiques sur la perception ». Le travail ainsi proposé au lecteur, dans les champs linguistique, philosophique, littéraire et artistique, est loin d’être exhaustif mais lance des pistes d’exploration qui, en définitive, montrent que les différentes disciplines se complètent afin de décrire le trajet de nos expériences perceptives. Celles-ci sont toujours dépendantes de perspectives renouvelées et démultipliées qui, reliées les unes aux autres, permettent d’avoir somme toute une vision plutôt perspicace du monde, du sujet et des champs de l’activité humaine : « Il y a de la rationalité, c’est-à-dire : les perspectives se recoupent, les perceptions se confirment, un sens apparaît » (Merleau-Monty [1945] 2010 : 671).
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02180142 , version 1 (11-07-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02180142 , version 1

Citer

Francoise Buisson, Christelle Lacassain-Lagoin. Introduction. Françoise Buisson; Christelle Lacassain-Lagoin; Florence Marie. Perception, perspective, perspicacité / Perception, perspective and perspicacity, L'Harmattan, pp.13-23, 2014, 978-2-343-04280-0. ⟨hal-02180142⟩

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