La sorcière et ses avatars dans le répertoire romantique et postromantique - Université de Pau et des Pays de l'Adour Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Repères, cahier de danse Année : 2012

La sorcière et ses avatars dans le répertoire romantique et postromantique

Résumé

La sorcière et ses avatars dans le répertoire romantique et postromantique Dès l'âge baroque, et jusqu'à la fin du XVIII e siècle, ballets et divertissements d'opéra mettent volontiers à l'honneur furies, démons, sorciers et autres figures grimaçantes d'inspiration plus ou moins mythologique. Mais c'est à l'époque romantique que le personnage médiéval de la sorcière conquiert véritablement les scènes chorégraphiques. Ainsi, en 1829, La Belle au bois dormant d'Aumer, sur un livret du dramaturge Eugène Scribe, donne à la « mauvaise fée » des résonances diaboliques en accord avec la sensibilité du temps. Mais l'on pourrait citer bien d'autres exemples de la séduction qu'exerce alors ce mythe féminin. Comme le prouve en 1862 la publication par Michelet d'un livre qui lui est consacré, la sorcière retrouve au XIX e siècle une actualité dont les milieux artistiques se font l'écho. Il faut dire que le motif est riche à la fois de résonances symboliques et d'un indéniable potentiel spectaculaire. Pierre Larousse, dans son fameux Grand Dictionnaire universel du XIX e siècle, ne définit-il pas les fées comme des survivances des antiques Parques-ces maîtresses des destins humains-et les sorcières comme le produit de la condamnation par l'Eglise chrétienne de ces mêmes fées, jugées coupables de faire allégeance au paganisme ? A l'origine, dans la littérature médiévale, point de différence entre fées et sorcières : toutes traduisent un certain rapport à la nature et à la féminité ; toutes incarnent le rejet de l'ordre social et moral. Ce n'est qu'au fil du temps qu'apparaît le clivage entre bonnes fées et méchantes sorcières, tel qu'on le retrouvera par exemple en 1890 dans La Belle au bois dormant de Petipa. L'image devenue archétypale de la sorcière-une vieille femme repoussante-est une invention moderne, liée à la récupération folklorique du personnage. Art volontiers manichéen, le ballet ne pouvait que se satisfaire de cette simplification. D'autant qu'à l'époque romantique, librettistes et chorégraphes sont friands de thèmes surnaturels. Comme l'a souligné Théophile Gautier, les ballets romantiques se caractérisent d'abord par le choix de sujets relevant, non plus du merveilleux mythologique comme c'était le cas aux XVII e et XVIII e siècles, mais de la littérature fantastique : « A dater de La Sylphide, Les Filets de Vulcain, Flore et Zéphyr ne furent plus possibles ; l'Opéra fut livré aux gnomes, aux ondins, aux salamandres, aux Elfes, aux Nixes, aux Wilis, aux Péris et à tout ce peuple étrange et mystérieux qui se prête si merveilleusement aux fantaisies du maître de ballet. 1 » Si la sorcière n'apparaît pas dans l'énumération proposée par Gautier, c'est sans doute qu'elle est un être hybride, qui appartient à la fois au monde réel et à l'univers onirique, à l'humanité et à la sphère démoniaque. Or l'un des spectacles fondateurs de l'esthétique romantique au théâtre fut en 1831 l'opéra de Meyerbeer Robert le Diable, dont le célèbre « Ballet des Nonnes » fascina durablement les contemporains. Cet intermède chorégraphique met en scène des spectres de religieuses dansant une sorte de bacchanale effrénée. Religion, subversion, atmosphère macabre, féminité paradoxale : ces différents éléments seront par la suite constitutifs des personnages de sorcières qui peupleront les ballets romantiques. A commencer par La Sylphide, chorégraphié en 1832 par Philippe Taglioni pour sa fille Marie, sur un livret du ténor Adolphe Nourrit, lequel avait interprété quelques mois plus tôt le rôle principal de Robert le Diable. S'inspirant librement d'un conte de Charles Nodier, Nourrit imagine l'histoire d'un jeune Ecossais tiraillé entre son amour pour sa fiancée et l'attirance qu'exerce sur lui une mystérieuse créature immatérielle. Mais une troisième figure féminine joue un rôle fondamental. Pour augmenter la tension dramatique, le librettiste de La Sylphide a en effet ajouté un personnage de sorcière, absent du texte de Nodier. Madge-c'est le nom du personnage-s'oppose par son âge et sa laideur aux deux jeunes femmes séductrices qui se partagent le coeur de James. Mais elle symbolise aussi une sorte de passerelle entre Effie et son aérienne rivale : comme la première, elle appartient au monde des humains ; mais elle est dotée, à l'instar de la seconde, de pouvoirs surnaturels. C'est donc au centre d'un triangle féminin très symbolique qu'est pris au piège le protagoniste. Et ce que l'art du ballet ne peut dire avec des mots, il le donne à voir au moyen de langages chorégraphiques différents : fille de la terre, Effie exécute des danses d'inspiration folklorique, tandis que l'aérienne Sylphide se distingue par un style fait de légèreté et d'élévation. Quant à la sorcière Madge, émanation des profondeurs infernales, elle ne danse pas mais s'exprime par le truchement de la pantomime.

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  • HAL Id : hal-02171640 , version 1

Citer

Hélène Laplace-Claverie. La sorcière et ses avatars dans le répertoire romantique et postromantique. Repères, cahier de danse, 2012, 30, pp.5-8. ⟨hal-02171640⟩

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