, Les sens convoqués se répondent : l'ouïe (« le sifflet du merle »), l'odorat (« le parfum »), la vue (les « couleurs ») et le toucher (« la nuit »), où l'homme est plus réceptif 29 . La sensualité de Marteau passe aussi par le goût : Si je peins un chou-fleur

, J'emprunte la chaux des murs, j'écrème la Voie Lactée ; avec un fouet j'en obtiens un amas De mousse que je mets au vert dans le creux d'une Écuelle disjointe imitée à gros traits D'un nid de héron 30

L. Vue-semble-dominer and . Ici, mais la synesthésie fonctionne en l'associant au goût, à travers la métaphore culinaire, « j'écrème », « fouet » et « mousse » créant un effet « chantilly ». Le peintre-cuisinier n'est pas sans nous rappeler un sonnet des Fleurs du Mal, dans une polarité tout autre 31 . Il y a quelque chose de jubilatoire dans l'écriture louangeuse de ce poète, dans son écoute du monde, qui se concrétise au niveau sonore par l'utilisation fréquente de rimes (presque) senées : « Rosaire répandu sur les ronces fruitières, Bombant sa bavette et de son bec brodant l'air, p.28

R. Marteau, , p.193

. Voir-le-chapitre,

R. Marteau, , p.171

C. Baudelaire, I. Un-fantôme, ». Les-ténèbres, L. Paris, and P. Et-de-broise, Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur / Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;/Où, cuisinier aux appétits funèbres,/ Je fais bouillir et je mange mon coeur » ; la comparaison du poète et du peintre et l'association cuisinier / peintre prennent une dimension tragique, p.39, 1857.

, Chez Jaccottet, la Nostalgie d'un âge d'or meilleur est pleinement exprimée

, Et dans l'entretien avec Sébastien Labrusse : Il y avait, chez moi, comme chez d'autres écrivains, une nostalgie, une fascination des origines. Plus les oeuvres étaient archaïques, plus elles me paraissaient belles, extraordinaires. Je pense que j'étais touché d'abord par certaines citations, tout en étant encore moins érudit là-dessus. Tout à coup, il y avait une phrase, comme dans l'Ancien Testament, qui m'impressionnait. Je crois qu'il y avait une fascination pour le tout commencement, pour la parole native. C'était la dimension du sacré à laquelle j'étais sensible, « Nostalgie de l'Âge d'or, pastorales, idylles : il n'était pas absurde que, devant cet autre verger, la rêverie m'y eût conduit, vol.40, p.41

, Les sens relèvent à la fois de l'immédiateté et de l'expérience mémorielle. Il s'agit d'écouter les permanences et les mouvements infimes du monde, de la nature, pour retrouver les traces d'une origine perdue, du verger et des fruits de « l'Âge d'or

R. Marteau, Cela se fait dans un syncrétisme religieux : L'orgue, les voix, l'encens disent l'ascension Du Christ en ce jeudi de mai, Marie ayant Dans la mémoire héritée de Maïa porteuse De rosée avant qu'ait apparu le rosaire, Lui-même échelle qui donne accès à l'empire De la musique, elle est bien la célébration recommencée de la fable qui dit le temps d'avant l'origine

, Maïa et Marie sont issues de la même symbolique, celle de la féminité et de la maternité. Les références mythologiques parcourent les oeuvres des deux poètes

L. Jaccottet and . De, Perséphone est très présent 43 , ainsi que celui de Lazare et les références au bouddhisme zen, alors que les oiseaux du jardin de Marteau coexistent avec le phénix et le 39 Ibid, p.172

P. Jaccottet, Cahier de verdure, p.29

. Sébastien-labrusse, , p.20

R. Marteau, , p.197

. Quetzalcóatl, Pour les deux poètes, les oiseaux comme les anges, les anges intermédiaires ailés comme les oiseaux, assurent la continuité, tendent, tissent encore un fil avec l'origine

, Les sens sont les moyens par lesquels le poète se rend perméable au monde et à sa rémanence

. Faire, grâce à ce qui est perceptible par les sens, le poète peut lever un voile sur ce qui est insaisissable, invisible et pourtant juste là. Pour Jean Onimus, Jaccottet a retrouvé très spontanément l'antique tradition du symbolisme naturel qu'on retrace jusque dans la mentalité primitive. Cette tradition considérée d'abord comme païenne (origine des idoles), a été christianisée par saint Bernard pour qui « les forêts nous parlent de Dieu mieux que les livres », et surtout par la tradition franciscaine. J'ai déjà cité saint Bonaventure

. L'univers, dit-il, est un cryptogramme que nous devons déchiffrer en « recréant » le monde d'avant la Chute

, Cette dimension mystique s'appliquerait encore davantage aux sonnets de Robert

, Pourtant, nous n'avons pas le sentiment que ces poètes cherchent à « recréer » le monde d'avant la chute, mais plutôt à poétiser le monde d'aujourd'hui, en ce sens que la poétisation, sans aucune connotation péjorative, est étymologiquement « création », à partir des traces, des signes qui sont toujours là. Certes, l'homme subit cette longue déchéance symbolisée par l'image de la chute, mais la poésie peut procurer un peu d'enchantement. Si les poètes mettent à contribution leurs sens, c'est uniquement pour se faire, Marteau, pour qui les cathédrales sont comme des forêts 45

. Revenons, Nous avons voulu montrer que Philippe Jaccottet et Robert Marteau composaient à partir de leurs perceptions du réel ; chez eux, les sens sont donc extrêmement sollicités

J. Onimus and P. Jaccottet, une poétique de l'insaisissable, p.126, 1982.

, Germer-de-Fly dans la clarté calcaire / Des colonnes qui ont l'élan d'une forêt, p.125

. La-«-conque-sonore, , vol.de la poésie, p.91